[ZOOM SUR] Catherine Marie, professeur émérite de l’Université de La Rochelle

Quel est votre parcours professionnel ?

CM : Comme je ne savais pas trop vers quelles études m’orienter après le bac, mes parents, avocats docteurs en droit tous les deux au barreau de La Rochelle, m’ont dit « tu n’as qu’à faire « ton droit », tu verras bien ! » et c’est ainsi que j’ai commencé des études de droit à la Faculté de droit de Poitiers et, au fur et à mesure des années, pris goût à cette discipline et obtenu une maîtrise et un diplôme d’études approfondies. Entre le travail au cabinet d’avocat de ma mère et le monde universitaire, j’ai vite choisi ce dernier par crainte du mélange des genres et surtout parce que j’étais très attirée par la liberté et les perspectives qu’il me semblait offrir.

En parallèle de l’exercice de plusieurs fonctions, responsable administrative de l’antenne rochelaise de la Faculté de droit de Poitiers à la Villa Fort Louis, puis chargée de travaux dirigés et assistante, j’ai obtenu à l’Université de Poitiers deux doctorats, l’un d’université en histoire du droit « Les feuilletonistes louis-philippards sous l’angle du droit pénal », sous la direction du Professeur Romuald Szramkiewicz et l’autre d’État en droit privé et sciences criminelles « Les interférences d’état d’auteur et de victime. A la recherche d’un concept d’auteur-victime en droit pénal », sous la direction du Professeur Pierre Couvrat. J’ai ensuite suivi la carrière classique d’un enseignant- chercheur. Ainsi, j’ai eu la chance de pouvoir obtenir un poste de Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de La Rochelle et ensuite de Professeur dans cette même université. J’ai ainsi connu durant ma carrière plusieurs réformes importantes de l’Université, notamment celle issue de la loi de 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, maladroitement nommée « loi d’autonomie des universités », qui me semble avoir encouragé un type de « gouvernance par les nombres » et non plus par les idées, s’éloignant de ma conception de l’Université. Ma carrière a été rythmée localement par l’évolution de l’Université de La Rochelle dès sa naissance, avec ses hauts et ses bas, et spécialement par le développement remarquable de la Faculté de Droit, de Science Politique et de Gestion.

Pour ce qui est de mes activités d’enseignement, j’ai eu l’opportunité de les exercer dans le cadre de la formation initiale, principalement mes matières de spécialité, à savoir le droit pénal, le droit civil, la procédure civile mais aussi d’autres matières périphériques à celles-ci ou non, ce qui a été très enrichissant et m’a permis de prendre de la hauteur, d’identifier des principes communs, d’avoir une approche transdisciplinaire de la matière juridique, bref de « penser le multiple » pour reprendre les termes de Mme le Professeur Mireille Delmas-Marty. J’ai eu la chance également d’enseigner à des étudiants de tous niveaux, de la première année au master et ainsi de « suivre » des étudiants quasiment pendant tout leur cursus universitaire. Toutes ces possibilités qui sont offertes aux enseignants-chercheurs d’une « petite » faculté, telle que celle de La Rochelle, sont formidables et présentent un atout de taille par rapport à la situation des enseignants-chercheurs dans les « grandes universités ». Mon expérience en tant que directrice de thèse a été également passionnante et je garde d’excellents souvenirs de mes relations avec les doctorantes et les doctorants.

On sait que, du choix du sujet à la soutenance de thèse, la mer n’est pas toujours étale et le rôle du directeur de thèse est essentiel tout au long d’une traversée qui reste avant tout solitaire. J’ai notamment eu la chance d’encadrer plusieurs doctorants étrangers pour des travaux de droit comparé sur des sujets variés et intéressants. Je souhaiterais évoquer notamment ce doctorant palestinien, Ahmed Swaitti, auteur d’une thèse soutenue en 2010 sur « Les violences envers les femmes : approche comparative, droit pénal français- droit pénal en Palestine » dont les travaux révélaient et critiquaient les difficultés rencontrées par les femmes victimes de violences pour faire reconnaître celles-ci et les faire réprimer. J’ai découvert avec horreur que « les crimes d’honneur » étaient encore parfois justifiés dans son pays. Le nouveau docteur devait d’ailleurs proclamer à l’issue de la soutenance que, de retour dans son pays, il lutterait sans répit afin de faire modifier la législation dans le sens d’un renforcement de la répression des auteurs et d’une protection accrue des femmes. Il est aujourd’hui doyen de la Faculté de droit de l’Université d’Hébron (7 000 étudiants dont 75% sont des femmes), milite en ce sens et je suis très fière de lui, comme je le suis d’ailleurs de tous mes doctorants devenus docteurs. 


En parallèle de cet enseignement à l’Université, la formation continue, que ce soit à destination des avocats ou des magistrats, m’a permis de me confronter à d’autres publics avec des exigences différentes et de nourrir mes connaissances et enseignements théoriques de la riche pratique des professionnels de la justice.

Une autre facette passionnante de ma carrière s’est exprimée au travers des partenariats institutionnels ou non entre la faculté et les professionnels de la justice, huissiers de justice, magistrats et avocats. Par exemple, quand on apprend que le stage de Master II d’un étudiant dans une étude d’huissier de justice va déboucher directement sur un stage professionnel, on prend conscience de la richesse de ces partenariats pour nos étudiants. Il s’agit toujours de rencontres très fructueuses tant pour les étudiants que pour les enseignants et qui ont abouti, en ce qui me concerne, à de véritables amitiés dépassant bien le cadre de la faculté. Je me souviens de ces déjeuners avec nos amis les huissiers de justice au cours desquels nous refaisions le monde et accessoirement les maquettes du master de droit processuel.

Du côté de la recherche, mes travaux portent principalement sur le droit pénal général et le droit pénal des mineurs, le droit des personnes et de la famille et le droit du procès. Sur le fond, au-delà de la diversité apparente de mes thématiques, l’individu, la personne humaine, constituent le centre vers lequel convergent mes différents travaux. Leur fil d’Ariane serait ainsi la « subjectivisation » et la contractualisation du droit qui se manifestent depuis plusieurs années sous le souffle des droits de l’homme avec leurs bons côtés mais aussi leurs débordements. S’agissant de matières extrêmement mouvantes, leurs évolutions, et parfois même leurs révolutions et discordances, sont passionnantes à étudier. Au-delà de la recherche individuelle, j’ai également eu la chance de participer à plusieurs projets de recherche collective qui m’ont permis de mener des études sur le terrain en partenariat avec des professionnels, notamment dans le domaine de la prévention de la récidive en Charente-Maritime. Ces expériences de recherche collective m’ont fait sortir de ma « bulle » de chercheur solitaire et je pense qu’elle est malheureusement encore trop peu pratiquée par les juristes, l’une des raisons tenant, je pense, à son manque de valorisation au titre de la carrière.

Au-delà des fonctions d’enseignement et de recherche, les différentes fonctions et missions pédagogiques et administratives que j’ai exercées m’ont offert la possibilité de saisir toutes les facettes du métier d’enseignant-chercheur. Exercées tant au sein de la Faculté de Droit de La Rochelle (Doyen, membre de différentes équipes décanales, membre du conseil de faculté, codirectrice du Master Justice, procès et procédures, directrice de l’Institut d’Études Judiciaires) que de l’Université de La Rochelle (membre alternativement de chacun des trois conseils) ou encore de l’École doctorale Droit et Science Politique « Pierre Couvrat » de Poitiers (directrice-adjointe), elles m’ont permis d’acquérir une connaissance très précise de l’organisation de la recherche nationale et du système français d’enseignement supérieur. Je dois avouer ma préférence pour certaines, spécialement celle de directrice-adjointe de l’École doctorale ou encore de codirectrice de Master en comparaison avec d’autres dans lesquelles je m’étais sans doute engouffrée trop vite et qui m’ont semblé ardues et parfois même ingrates.

Bref, j’ai adoré mon métier d’enseignant-chercheur sous ses différentes facettes. La liberté, l’indépendance, le bonheur de la transmission, les échanges, les rencontres souvent porteuses de vrai sens et les amitiés qu’il permet sont irremplaçables, et rarement aussi présents dans d’autres métiers. Je dois avouer un regret, celui de ne pas avoir été voir ailleurs si l’herbe était plus verte, autrement dit, d’avoir effectué toute ma carrière à l’Université de La Rochelle alors que des occasions d’intégrer d’autres facultés de droit m’ont été offertes à différents moments de ma carrière. Je suis persuadée que bouger, changer d’environnement professionnel, se confronter à d’autres pratiques est toujours enrichissant et que l’on revient ensuite à son port d’attache avec plus d’énergie et de projets qu’en partant. J’ai également eu, à plusieurs reprises, l’envie d’intégrer la magistrature, ce que notre statut rend possible. Pendant longtemps, j’ai gardé le dossier de demande d’intégration dans un tiroir de mon bureau et même si je le sortais de temps en temps dans des périodes difficiles, je n’ai jamais franchi le cap sans doute parce que je savais inconsciemment que ma place était à l’université. Mes fonctions d’assesseur au tribunal pour enfants depuis une vingtaine d’années ont atténué ces regrets pour la magistrature et cette expérience en juridiction a donné une véritable dynamique à mes cours de droit pénal.

Vous avez pris votre retraite l’an dernier. On imagine que les étudiants vous manquent !

CM : Certes, j’ai pris le 1er septembre 2019 ma retraite « administrative » mais fort heureusement, ce n’est pas la fin du livre mais juste une page qui s’est tournée. J’ai eu la chance d’obtenir de la part de La Rochelle Université le statut de Professeur émérite pour trois ans ce qui me permet de continuer à exercer mon activité de recherche dans un cadre très favorable, en restant attachée au Centre d’Études Juridiques et Politiques. Ce statut me permet également d’accompagner ma dernière doctorante jusqu’au bout de son chemin, ce qui ne saurait tarder. Dans la mesure où je poursuis mes fonctions de juge assesseur près du Tribunal pour enfants de La Rochelle ainsi que des activités de formation continue à destination des barreaux et de l’École Nationale de la Magistrature, disposer de l’éméritat me permet de continuer à participer au rayonnement et à l’attractivité de notre université et de notre faculté.

Ceci étant, ce qui me manque le plus dans ce nouveau statut, ce sont, vous l’imaginez bien, les étudiants. Je rejoins ainsi le sentiment de nombreux collègues déjà à la retraite qui m’ont toujours tenu ce discours. Arpenter les amphis Valin, Rivero, Motulsky ou encore Esmein me manque car l’ai toujours pris beaucoup de plaisir à l’enseignement magistral qui ne se résume sûrement pas, comme l’imaginent certains, à un monologue théorique et barbant de l’enseignant.

Le collectif qui se dégage d’un amphi en présentiel est quelque chose d’irremplaçable pour moi afin de retenir l’attention des étudiants, susciter leur intérêt, bref les garder intellectuellement actifs, même si je reconnais tout l’intérêt des cours virtuels à titre complémentaire, dans certaines circonstances, et particulièrement en ces temps de crise sanitaire. Ceci étant, il ne faut pas tout magnifier et je me souviens aussi de moments difficiles dans les amphis, de colères, de confiscations de téléphones portables, de bras de fer avec des étudiants insupportables mais cela faisait aussi partie du « job ». Au contact des étudiants, je n’ai pas vu les années passer même si, au fur et à mesure des années, en constatant que leurs dates de naissance sur les copies d’examen s’éloignaient de plus en plus de celles de mes filles, l’illusion a eu tendance à s’estomper. C’est toujours un grand bonheur pour moi de revoir d’anciens étudiants, d’avoir de leurs nouvelles, de connaître leur cheminement professionnel et je suis toujours étonnée de la fidélité de certains, de nombreuses années après. Pour le moment, ils se souviennent encore bien de moi comme en témoignent les nombreuses demandes de lettres de soutien pour des demandes d’inscription en Master que je reçois !

J’espère, sans avoir l’ambition de les avoir marqués comme j’ai pu l’être par certains de mes « Maîtres », avoir appris à mes étudiants à prendre confiance en eux, à penser par eux-mêmes, à se méfier des postures idéologiques, à réfléchir sur la place de la loi qui fixe des principes supérieurs auxquels chacun doit croire pour vivre en société de manière harmonieuse et limiter le pouvoir des plus forts.

Pourquoi avoir accepté de rejoindre la SRD ? Que peut-elle apporter, selon vous, aux juristes rochelais ?

CM : Quand les doctorants fondateurs de la SRD, (Kévin, Benjamin et les autres) m’ont proposée de faire partie du Conseil d’administration, j’ai tout de suite accepté avec beaucoup de plaisir à l’écoute de tous les projets qu’ils me présentaient avec un enthousiasme communicatif. Ce que nous n’avions pas réussi à faire pendant des années allait se réaliser et je pense à cette association « d’anciens » créé il y a une vingtaine d’années et qui n’a jamais réussi à décoller. De plus, quel plaisir de retrouver au sein du conseil d’administration des complices et amis de longue date, tous des fidèles de notre faculté.

À mon avis, elle va avoir le mérite, et les prémisses sont déjà posés, de créer au niveau local une communauté regroupant les acteurs du droit, professionnels et étudiants et de développer les partenariats institutionnels ou non, qui existent déjà entre la faculté et le monde professionnel de la justice entendu au sens large. Au sein même de la Faculté de Droit, de Science Politique et de Gestion, elle renforcera les relations entre les étudiants en collaboration avec les autres associations de la faculté (BDE Droit et IAE, IAE Alumni). Je suis persuadée que de nombreuses actions communes et inédites en résulteront. Bien évidemment, la SRD va favoriser la mise en place de liens entre les étudiants diplômés et ceux en cours d’études, pouvant par exemple se concrétiser par des propositions de stages.

De manière générale, la SRD va mettre en lumière la richesse et la vitalité du milieu juridique rochelais pas nécessairement bien appréhendée par les citoyens. Il y a peu de temps, un professeur d’un lycée m’a avoué qu’il ignorait qu’existait à La Rochelle une faculté de droit de plein exercice offrant la possibilité à un étudiant d’y effectuer un cursus complet de la première année au doctorat. Le grand nombre de personnes ayant déjà adhéré à la SRD et le succès de la cérémonie de lancement montrent bien qu’une telle association était attendue et qu’elle est née sous une bonne étoile.

En tant que membre du Conseil d’Administration de l’association, quel bilan tirez-vous de sa première année d’existence ?

CM : Le bilan de la SRD est très positif avec de multiples actions réalisées en si peu de temps grâce à l’énergie et le sens de l’organisation déployés par les membres du bureau, doctorants et autres étudiants. Je citerai notamment le partenariat entre la SRD et l’administration pénitentiaire qui a permis la reprise des enseignements à la Maison centrale de Saint-Martin de ré à destination des détenus et l’organisation inédite d’un concours d’éloquence entre étudiants et détenus. L’organisation d’un concours d’éloquence qui a vu s’affronter des équipes d’étudiants de la faculté a également constitué un moment fort de cette première année d’exercice. J’ai bien apprécié aussi l’after work qui a permis de réunir étudiants, enseignants et professionnels de la justice dans un cadre très agréable et sous un format inhabituel. Quel dommage que ce sale virus ait tout stoppé. 

Merci à Catherine Marie pour cette interview et ce retour d’expérience.

Le Bureau