[ZOOM SUR] Dominique Schaffhauser, Magistrat honoraire

Quel a été votre parcours universitaire avant de devenir magistrat ?

Après avoir hésité, en première année, entre le droit et l’économie politique, j’ai opté les années suivantes pour le droit. A partir de la troisième année, j’ai suivi la filière droit privé et me suis inscrit à l’Institut d’Études Judiciaires. En cinquième année, tout en préparant le concours de la magistrature et travaillant pour un agrée au tribunal de commerce, j’ai suivi un DESS de droit privé sur la famille.

La profession de magistrat est riche en activités. Pourriez-vous en présenter, selon vous, les points
forts et les points plus délicats ?

Le métier de magistrat oblige à ajuster le droit à des situations de fait, c’est-à-dire toujours partir des faits, de ce que dit le droit . C’est souvent enrichissant mais aussi frustrant. La réalité de la situation comme du sable entre les doigts peut échapper alors qu’en justice, il ne suffit pas d’avoir raison, il faut le prouver ; des biais cognitifs , comme , selon Didier Fassin, la hiérarchie des crédibilités ou la force des affinités peuvent fausser l’interprétation des preuves . Si le contradictoire, en principe, permet de remettre les faits dans le bon ordre en les éclairant de tous les côtés à la fois, de libérer les juges de leurs dépendances, le temps qui lui est consacré devient de plus en plus limité pour des raisons d’optimisation budgétaire. Au-delà de ses difficultés, le métier de juge constitue une formidable exploration de l’humain. La variété des fonctions judiciaires permet de l’explorer dans toutes ses dimensions, parfois sublimes, parfois sordides.

En tant qu’ancien président de la cour d’assises, pouvez-vous nous indiquer pour quelles raisons
cette juridiction fut un élément marquant de votre carrière ?

A la fin de mon parcours judiciaire, j’ai choisi d’exercer les fonctions de président de cour d’assises parce que cette juridiction, à mon avis, correspond à ce qui se fait le mieux pour l’élaboration des décisions judiciaires : examen des faits sous le regard croisé de toutes les parties au procès, juges et procureurs compris ; citoyens et magistrats qui échangent, dans « le silence et le recueillement » leurs savoirs pour parvenir à une décision adoptée à la majorité absolue après un vote secret , à égalité de voix.
La procédure orale en vigueur devant cette juridiction permet d’approcher au mieux une connaissance partagée du dossier, à tous les acteurs : avocats – procureurs- juges et jurés- accusés – parties civiles de questionner la pertinence des charges, la réalité des faits et la qualité de l’enquête. L’audience dure tout le
temps nécessaire et les débats ne peuvent être suspendus que pour le repos des juges, de la partie civile et de l’accusé, ils doivent se poursuivre jusqu’au verdict. L’audience peut y prendre du « volume », de révéler des aspects de la situation estompés par le dossier « papier », de donner de la chair à la sécheresse de l’écrit, d’exprimer des émotions qui permettront de mieux ajuster le droit.

En plus d’une longue carrière de magistrat, vous avez participé à une conférence sur le thème de la
vérité judiciaire. Quel est le rôle de la vérité lors d’un jugement ?

Juge et Dieu, ce n’est pas le même métier !
Le juge doit s’en tenir pour exprimer la vérité aux preuves qui sont rapportées et pour les interpréter ne dispose pour seules armes que de l’honnêteté intellectuelle, sa sensibilité et la référence à la loi. La vérité ne peut-être qu’une vérité « judiciaire ». Si le juge doit dire « rien que la vérité », il ne peut, bien souvent, pour autant, dire « toute la vérité ». Apprécier le bien-fondé d’une thèse ou d’une accusation avec les seuls éléments dont il dispose,
après un échange contradictoire, en veillant à garantir les droits de chacun constitue son cœur de métier mais il ne peut aller au-delà et percer l’ombre.

Toutefois, pour que l’acte de juger ne soit pas un acte de violence mais un acte de reconnaissance, il doit permettre la coexistence de plusieurs vérités, celle de l’agresseur comme celle de la victime, par exemple.

L’art semble avoir une très grande importance pour vous. Existe-t-il un lien entre le Droit et l’art ?

L’art, en général, la littérature et le cinéma en particulier, permettent d’approcher par l’émotion qu’ils suscitent l’intime et la complexité du monde ; de juger des situations particulières en tenant vraiment compte de leur particularité ; de remplir pleinement la fonction « d’ajusteur du droit » qui doit être celle du juge ; de cultiver, selon Martha C Nussbaum « l’art d’être juste ».

Contrairement à une idée reçue, l’impartialité obligée du juge ne le contraint pas à « l’impassibilité ». Être impartial, ce n’est pas s’abstenir d’écouter ou d’entendre le monde, de s’écouter ou de s’entendre, c’est accepter de rompre avec les facilités des solutions toutes faites, tâtonner entre plusieurs vérités guidées par l’honnêteté intellectuelle en laissant la place à l’émotion mais pas toute la place. Ainsi, « Douze hommes en colère », « Dans ses yeux », « l’intérêt de l’enfant », « le chemin des morts », « Divorce à Buda », par exemple, préparent plus sûrement à l’exercice de la fonction de juger que n’importe quelle formation initiale ou continue.

La Société Rochelaise du Droit a pour ambition de mettre en avant la richesse et la vitalité du secteur juridique local. Quelle serait la meilleure façon d’y parvenir
d’après votre expérience ?

L’alliance entre le monde de l’université, de la recherche et de l’enseignement et celui des praticiens du droit que cherche à nouer la Société Rochelaise du Droit peut s’avérer une alliance gagnante. Le dialogue qu’elle doit permettre entre le « droit savant » et le « droit vivant » peut être gage d’évolution de l’un et de l’autre et d’enrichissement pour l’un et pour l’autre.

L’association peut permettre d’inventer des initiatives facilitant le croisement des savoirs des uns et des autres pour que la connaissance et la meilleure compréhension du rôle de chacun. Les cliniques du droit, les conférences à thème sur des sujets juridiques d’actualité , des
procès fictifs pourraient l’illustrer.

Merci à Dominique Schaffhauser pour cette interview et ce retour d’expérience.

Propos recueillis par Corentin Roy, Service Civique de l’association